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par Littlefinger
Elbakinien d'Or
Cette année cinéma avait commencé timidement.Mais ces derniers temps, en fait depuis sa présentation à la Mostra de Venise, le nouveau film de l'illustre Alfonso Cuaron, sobrement intitulé Gravity, avait beaucoup fait parler de lui. James "Avatar" Cameron allant même jusqu'à en dire qu'il était le meilleur space movie qu'il ait jamais vu. Bien entendu, comme toujours dans ce genre de situation, il faut rester circonspect d'autant plus que des réalisateurs prometteurs s'étaient déjà crashés en plein vol ces dernier temps comme Neil Blomkamp ou Kim Jee-woon. Pourtant, c'est bien d'Alfonso Cuaron dont on parle. L'homme qui a su livrer le seul volet d'Harry Potter avec une vraie ambiance et une vraie réalisation mais surtout celui qui a livré un des meilleurs films de SF de tous les temps, Les Fils de l'homme, magistral long-métrage dont on ne louera jamais assez la qualité. Et puis les extraits/trailers ont débarqué...autant dire que l'attente était à son comble surtout lorsque de tous les côtés la critiques l'inondait de louanges. Alors, turn off the light, prenez une très grande inspiration, attachez votre ceinture et...L'ouverture se fait sur un texte concis, détaillant température et progression du son dans l'espace. Dans le silence. Puis vient un son qui s'amplifie jusqu'à l'apparition de la Terre vu de l'espace, à nouveau dans un silence total. La vue est magnifique et des discussions se détachent du vide. Très lentement, un point grossit à l'horizon et une navette spatiale apparaît, nom de code, Explorer. Immédiatement, on est happés par l'écran. Le vide, l'immensité, la beauté sidérante des images et l'épure. L'épure totale, le respect scientifique de l'absence de son brisée par les conversations étouffées par les casques. Cuaron montre directement que vous n'êtes pas à Hollywood ici. La caméra virevolte entre les trois astronautes qui réparent le satellite. La course de l'objectif est ample, les plans raffinés et étudiés, dans un soucis constant de ce qu'il veut transmettre à l'instant présent. On passe du Vide total à l'intérieur d'un casque sans coupure. Bref, Cuaron affiche une maîtrise immédiate.On le comprend rapidement, Gravity ne fera aucune concession sur le réalisme. Rapidement, les incidents arrivent, les choses se précipitent. La première catastrophe laisse le spectateur bouché-bée, pantelant, en quasi-apnée. Sur les voix affolées des astronautes trimbalés dans l'espace, que du silence. En arrière-plan, et cela tout au long du film, des explosions, des désintégrations, des cataclysmes mais pas un bruit d'explosion, juste les cris et la respiration de Matthew et Ryan. La chose s'avère terriblement surprenante mais aussi incroyablement géniale. Cuaron nous immerge totalement, dès le début, nous sommes là avec Ryan dans sa combinaison, mort de peur, mort de froid. Puis le film prend son rythme de croisière, une concise histoire de sauvetage d'à peine une heure trente, là où le standard tourne vers les deux heures - deux heures trente. La cadence adoptée par Cuaron fait des merveilles grâce à une chose qui est certainement le pilier principal du film : l'environnement sonore.La musique reste discrète, sobre, s'efface souvent au profit du Vide. Mais dès que la menace arrive, que les choses tournent à l'aigre, elle surgit d'un coup d'un seul, elle monte en puissance comme le pic d'adrénaline dans le cerveau du spectateur accroché à son fauteuil. C'est brusque, c'est fort, et les images qui l'accompagnent sont au diapason. Constamment pendant toute la durée du périple de Ryan, constamment Cuaron garde une tension dramatique immense et arrive par de courts instants à nous faire fusionner avec Matthew et surtout Ryan. L'autre élément incroyable du film, c'est elle. Outre la très bonne prestation de Clooney, on trouve dans Gravity un petit miracle en la personne de Sandra Bullock. Dirigée d'une main de maître, elle donne une épaisseur dramatique à son personnage en quelques scènes, simple mais de façon surprenante, extrêmement efficace. On souffre avec elle, on manque de pleurer avec elle, on s'affole avec elle, on est presque Ryan en fin de compte, on est presque là-haut nous aussi, perdus et désespérés. De la part d'une actrice qui n'avait jamais réellement fait de prouesses, chapeau bas.D'Explorer à la station ISS, de la station ISS à la station chinoise, Gravity est à couper le souffle. A aucun moment, AUCUN, la qualité de sa réalisation n'est prise en défaut. Le réalisme restera toujours et constamment le maître mot. Pas d'énormités à la Sunshine où un homme passe 5 secondes dans le Vide sans mourir congelé, non, Cuaron refuse tout net de négocier. Ainsi, Gravity n'est PAS un film de science-fiction mais bien une fiction tout court. Et quel film mais quel film ! Bien entendu, on ne révélera pas la fin mais on se rend compte à ce moment là de l'intelligence de Gravity. Les Fils de l'homme affichait déjà une insolente réussite ce niveau, mais Gravity économise les paroles et passent le reste sous silence (spatial) pour faire dans la métaphore. Parce que Cuaron ne livre pas seulement le plus grand film de ces dix dernières années au niveau visuel mais aussi un immense film pétrit de métaphore. Gravity parle de l'absence, de la solitude, il parle de l'angoisse de la séparation et de la naissance (ou de la renaissance), il parle de l'homme confronté à l'univers, à la nature et aussi et surtout à lui-même. Avec un sens du pictural sidérant, on retrouvera tous ces tableaux de la vie, de la mort et de la résurrection. Avec ce plan final en contre-plongée, tournée vers les étoiles, et ce crescendo de musique qui boucle la boucle, qui prend aux tripes et achève tout net son public. Cuaron rentre dans le cercle très fermé des meilleurs réalisateurs vivants. Gravity devient, instantanément, un classique du cinéma et n'est pas loin d'ouvrir une nouvelle ère qu'on espère riche en films aussi audacieux, aussi forts, aussi bluffants, aussi époustouflants, aussi incroyables, aussi intenses, aussi grisants, aussi immenses, aussi...parfaits. Il y aura certainement du monde pour passer à côté ou lui préférer un bon action-movie. Mais franchement, vous ne serez pas de ceux-la.Respirez, le soleil brille de nouveau, respirez.La gravité vous entraîne.Cuaron vous paye le voyage de votre vie.